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Carnet de route: Chine

 

C'est une catastrophe: Depuis que nous sommes en Chine, nous passons notre temps à manger.
Pourtant, on ne peut pas se plaindre de l'effort physique, ces jours-ci. Entre le transMongolien et le bus couchettes, nos derniers 2000 kilomètres furent plutôt reposants. Maintenant que nous pédalons, une phrase revient 15 fois par jour : "T'as pas faim ?" Si, j'ai faim. Et Xav' aussi. Tout le temps. Surtout entre nos 7 repas quotidiens. On se venge des aaruls. La bière remplace l'airak. A bas le gras de mouton, vive le porc sauce aigre-douce ! Vive la cuisine chinoise ! Nous fêtons la gastronomie prodigue. Nos estomacs se rattrapent. Fini le régime mongol. De bouis-bouis en gargotes, Gargantua et Pantagruel digèrent sur leurs vélos.
Entre deux réflexions passionnantes sur l'élasticité du riz et les aubergines frites, nous nous interrogeons tout de même sur ce qui nous entoure. Marché noir, marchés libres, supermarchés, hypermarchés et ce dès la frontière. "Tu le vois, toi, le communisme ? Tu crois que s'ils sont si gentils, c'est dû à la propagande ? Sont-ils obligés, d'après toi, d'accrocher ces portraits de Mao chez eux ?" Non, ils ne sont pas obligés (sauf s'ils veulent réussir dans la vie). Oui, ils sont fiers d'être communistes. Mais l'économie de marché "permet à la Chine de s'enrichir, avant le nécessaire et bienfaiteur retour du communisme marxiste." On nous l'affirme, comme on nous affirme que la République Populaire Chinoise reste avant tout communiste. C'est gentil de nous le dire : le capitalisme est si omniprésent qu'il est dur de croire que la Chine est communiste. Au pied de la Grande Muraille, à Badaling, les échoppes de souvenirs attirent les (portefeuilles des) touristes. Tout près, on aperçoit les tours de la Belle au Bois Dormant, forteresse moderne d'un DisneyLand local. République Populaire de Chine. "Populaire"... parce qu'il y a du monde.
Nous laissons les autocars pour aller admirer la Grande Muraille dans un endroit plus calme. Petite route en lacets. Ici commencent les paysages d'estampes. ("C'est pas possible, j'ai déjà faim, pas toi ?") La brume joue avec le relief : montagnes ovales et touffues, pics karstiques. ("On s'arrête au prochain resto, d'accord ?"). L'air est moite. Des ruisseaux de sueur inondent nos yeux avant de se jeter sur les guidons. Ca monte sec, il fait chaud, mais quel pied ! Seuls quelques oiseaux et les gargouillis de nos ventres troublent le silence. Nos yeux balayent les paysages de la Chine millénaire. Dans les côtes, nous doublons les paysans qui poussent leurs vélos, tête basse. Ils nous offrent un sourire édenté et leur regard gentiment interrogatif. Nous sommes en Chine. Là où "les gens ont la tête à l'envers", comme nous pensions quand nous étions enfants. Nous voilà de l'autre côté du monde. Grâce à nos braves bicyclettes.
Qu'elle est belle, cette pieuvre de pierre... Belle ? Impressionnante, plutôt. Hallucinante. Inconcevable. La Grande Muraille s'étend à perte de vue. Epine dorsale des montagnes boisées, elle n'en finit pas de courir et de se dédoubler. Qu'elle ait été frontière ou barrière, tant d'énergie pour la construire, c'est aberrant. Il paraît que les ossements de certains ouvriers morts à la tâche consolident le ciment millénaire. Jamais une oeuvre humaine ne m'a autant troublée. Peut-être parce qu'elle est inhumaine, cette muraille. On aurait pu l'imaginer, à la limite. La dessiner, en rêve. Mais épuiser des générations de prisonniers ou de paysans en leur faisant porter ces tonnes de pierres, pour faire courir un mur sur des versants abrupts, et ce sur des milliers de kilomètres... il fallait être inconscient et cruel à la fois. Du reste, cette folie dérisoire, cette voie crénelée éblouissante n'a pas empêché les mongols de galoper jusqu'à Pékin. Quoiqu'il en soit, poser un pied sur cette muraille... c'est émouvant. M'avez-vous entendu vous appeler ? J'ai hurlé pourtant.
-Wo hoooo, on est làààààààà, on est arrivéééééééés (...) maintenant, on rentre par l'autre côté, à bientôôôôôôt...


Après une bonne averse et moult repas, nous sommes donc arrivés à Pékin. Dire que le voyage aurait du s'arrêter là... Xav' avait raison d'insister, nous aurions eu un goût de "trop peu". Après 27 000 km dont 13000 à vélo, autant finir le tour du monde.
Pékin. Inimaginable: même pas le temps de voir la Cité Interdite, il faut s'occuper de notre camescope malade, trouver des cassettes numériques, se renseigner sur les musiciens, bosser la nuit sur le site Internet, envoyer les fichiers la journée... On a choisi ce site, il faut en assumer le boulot. Ne nous plaignons pas (surtout que Xav' en fait dix fois plus que moi, pour préparer les pages HTML et apprendre l'HTML d'ailleurs). Pas de Cité Interdite, donc, et c'est tant mieux. Depuis les sites romains déserts et les palais privés, nous sommes devenus très élitistes dans nos visites touristiques : nous n'aimons que les endroits vides de toute foule. S'il me faut traverser en vitesse la chambre impériale, coincée entre 80 Allemands qui vocifèrent, des Américains qui mâchouillent leur chewing-gum, 340 petits écoliers gesticulants, un groupe de Japonais au guide bavard et des Chinois qui crachent partout, je préfère encore revoir Le dernier Empereur.
En revanche, il y a un truc à ne rater sous aucun prétexte à Pékin, comme dans le reste de la Chine : ce sont les parcs publics à l'aube. Vers 5 heures du matin, ils commencent déjà à se remplir. A six heures, on pénètre un monde irréel. Ici, des vieillards entament un tango passionné, là, une jeune fille tourne inlassablement autour d'un arbre, plus loin, une cinquantaine de personnes font leur gymnastique au rythme d'une musique mièvre... On voit aussi les combats poétiques et mesurés du taï chi, les joggers qui courent à reculons, ceux qui déchirent le vent avec leur sabre... J'adore surtout les solitaires. Ils dansent au rythme d'une musique qu'ils sont les seuls à entendre. Ils se battent contre leur ombre. Ils inventent des rituels magiques. Tout est spectacle. Improvisé.
Aucune peur du ridicule. Ils se sentent invisibles, donc rien ne les retient. Ils commencent leur journée en s'inventant un monde. Une île de détente avant le stress de la journée. Ces petites bonnes femmes grassouillettes qui se dandinent en silence, elles sont tellement belles... Cet homme, là, qui joue à cochon pendu sur l'arbre, regardez-le : il ne vous voit pas malgré ses yeux ouverts. C'est la liberté qu'on vient chercher dans ces parcs. La liberté de laisser son corps parler. Personne pour juger du menton, un sourire ironique aux lèvres. On se croirait parfois dans un asile de fous, certes, mais qui jugerait ça anormal ?


L'agence Reuter nous filme pour les télés mondiales. Hé hé hé, on peut se la jouer, le sujet est envoyé dans 66 pays. Vous nous avez peut-être vus sur Euronews, Vietnam TV, voire au Canada, en tout cas c'était bien nous. Même Tchou-Tchou est passée à l'antenne. Corinne, charmante directrice du service TV de Reuter Pékin, nous prête un studio meublé. Ça change des hôtels de passe à 10 FF la nuit. On s'y fait vite, au confort. Difficile de partir dans ces conditions-là. D'ailleurs, nous avons failli rater le train pour Shanghai. A une minute près. Très honnêtement, galoper dans une gare bondée avec 30 kilos de bagages chacun en équilibre sur la tête ou à bout de bras, c'est usant.
A Shanghai, l'accueil dépasse l'imaginable. Zhang Yinde, le meilleur ami des parents de Xav', a demandé à sa famille de nous prendre en charge. Déjà, l'oncle de Yinde nous avait offert un festin à Pékin. Ici, nous sommes installés dans un hôtel 3 étoiles. Piscine, restaurant de luxe, buffets fantastiques... nous engraissons comme des oies pour le grand plaisir de Zhang Yinsheng, le grand frère de Yinde. Sa fille Yue, bilingue (en anglais et chinois), propose de nous accompagner à Suzhou. Ancien village devenu récemment surface commerciale géante, Suzhou abrite néanmoins les plus beaux jardins de Chine. Ses habitants sont également connus pour l'élégance de leur accent et leurs poèmes chantés. Zhang Yinsheng et Yue organisent tout : installés dans un hôtel de rêve, nous enregistrons deux musiciens venus spécialement pour nous faire connaître leur art. Le morceau qu'on vous a sélectionné vous permettra d'entendre l'accent délicat de Suzhou, en introduction. Petit concours : devinez de quoi parle ce chant. Nous lirons tous les scénarios. Un carambar sera envoyé à ceux qui trouvent la bonne réponse. Bravo d'avance pour les gagnants. Timbre de voix, résonance des instruments, pas de doute, cette chanson porte la Chine en elle (Fichier= suzhoupoeme.mp3, Taille= 1173 ko, Origine=Suzhou). Vraiment, nous sommes heureux de témoigner de la diversité des musiques traditionnelles. Yinde, Yin, Hue, du fond du coeur, merci pour cet enregistrement, merci pour votre accueil.

Province du Guangxi.
Guillin, Yangshuo, Lengsheng, que la Chine est belle avec ses rizières, ses énormes rochers touffus et ses bosquets de bambou le long des cours d'eau... Seule ombre au tableau : depuis que nous avons fait nettoyer le camescope, il est devenu aphone. Pas de son. L'image, elle, se fragmente en mosaïques. Vive le service après vente.
Nous faisons le détour par Sanjiang pour rencontrer les Dongs. Cette minorité du sud de la Chine garde farouchement un patrimoine musical unique. Les Dongs vivent de leurs rizières, cultivées en terrasses sur des pentes abruptes. Nous rêvons d'un village isolé dans les montagnes. Sur un papier, nous avons indiqué que nous cherchons à enregistrer des musiciens. Corinne, à Pékin, avait traduit tout un petit texte expliquant notre démarche. La quête commence. On nous conseille Chengyang.
Après trois jours de vélo dans les rizières lumineuses,

trois jours pour constater qu'aucune machine n'aide les paysans dans cette région de Chine, après ces trois jours de calme randonnée, nous pensions avoir atteint des villages reculés. A Chengyang, la déception est grande. "Dong Minority Hotel", "Souvenir Shop", "Tourist Restaurant", ces panneaux éclatent comme des verrues parmi les vieilles maisons en bois. Combien de kilomètres faudra-t-il parcourir pour trouver du vrai, de l'authentique ? Un jeune Américain traverse le superbe Pont du Vent et de la Pluie. Cooper, qui parle chinois, s'est installé ici pour étudier l'architecture Dong. Nous lui expliquons ce que nous cherchons et il nous conseille de rester là. "Les touristes ne viennent que pour le grand pont de bois. Ils le traversent et repartent aussitôt. Je suis actuellement le seul étranger sur place et je connais les musiciens, ils sont bons." Mais déjà, trois petites vieilles nous harcèlent pour vendre leur artisanat flambant neuf. Non, vraiment, c'est trop vexant d'avoir tant pédalé pour s'arrêter ici, comme un quelconque car de vacanciers. Cooper conseille Ping Pu, un petit village à l'écart. Notre Américain se propose comme traducteur (20kb) et nous le suivons sur les pistes de poussière. Les Dongs sont des maîtres en charpenterie. Maisons, ponts, moulins à eau, ils construisent tout en bois, sans un seul clou. Dans chaque village se dresse une tour du Tambour, lieu de rassemblement communautaire, beaux ouvrages ornés de dragons et d'oiseaux. A Ping Pu, ce soir, trois vélos s'appuient sur la Tour du Tambour... et ces vélos suscitent bien des commentaires. Sur les bancs, des rangées de petits vieux n'en finissent pas d'examiner ces nouveaux venus, encerclés par des gamins rieurs.
Cooper se montre charmant et patient dans les traductions. En moins d'une 1/2 heure, la cérémonie s'organise. Cinq hommes saisissent leur lusheng, une sorte d'harmonica en bambou. Après un cri collectif, ils jouent leurs morceaux en tournant en cercle. Nos microphones n'apprécient pas beaucoup. Saturation, impossible d'enregistrer. Même en réglant le niveau d'enregistrement du son. Nous atteignons les limites de notre matériel.
Pour être totalement honnêtes, nos oreilles d'occidentaux ne sont pas fascinées par le lusheng. L'instrument est joli, certes, mais le son nous emballe moins. En revanche, l'atmosphère de ce petit village perdu, ces enfants qui jouent au basket en face de la pagode, ces petits vieux curieux et bavards, cette effervescence provoquée par notre arrivée... voilà une routine dont on ne se lasse pas.
De retour à Chengyang, les musiciens du village nous offrent (pour pas cher...) un autre concert, inenregistrable pour les mêmes raisons. L'un d'eux nous invite à manger. Repas délicieux puisque j'ai eu la présence d'esprit de ne pas prendre de gras de porc. Mais le pauvre Xav' a mâchonné pendant dix minutes ce caoutchouc huileux. Grâce à Cooper, nous pouvons enfin communiquer pour en savoir plus sur cette minorité du Guangxi. Heureux de nous sentir intéressés, notre hôte part chercher son er hu, le violon chinois à deux cordes (l'archet se glisse entre les cordes). Sa belle-soeur l'accompagne en chantant. Là, pour le coup, nous sommes séduits. Il s'agit d'un chant Dong, une histoire d'amour où un jeune homme s'émerveille des broderies de sa promise. Les femmes Dongs sont d'ailleurs des brodeuses hors-pair. C'est un chant d'amour, donc, qui nous est servi en dessert, dans un village qui n'est, finalement, pas si massacré par le tourisme. Assis sur la terrasse, rafraîchis par une petite brise, nous dégustons cette musique qui a passé les siècles (Fichier= chinedongcordes.mp3, taille= 1.1 mo, Origine=Chengyang). Derrière, la lune éclaire faiblement les rizières. En dressant l'oreille, vous entendrez même les criquets (Fichier= chinedongcordesvox.mp3, taille= 634 ko, Origine=Chengyang) Belle soirée, comme nous en rêvions. Lorsque Xavier leur fait écouter l'enregistrement, les deux musiciens rient de joie, les yeux fermés et les pieds qui battent le plancher. Jubilatoire. Nous repartons heureux. Il y a eu un partage, ce soir.



Le petit mot de Xav':

kilométrage dans le pays, à vélo: 1040 --- kilométrage dans le pays en car / pick-up / avion : 4350 --- Total du kilométrage à vélo: 13110 --- Total du kilométrage en car / pick-up / avion : 17450

Vous pouvez télécharger mon carnet de bord à partir de mi novembre 2000, pour connaître ma propre vision de la Chine. Récupérez donc le petit fichier chinexavier.rtf (39 ko) et la carte qui l'accompagne: cartechine.tif (46 ko).

NDLR: Si vous voulez nous soutenir, sachez qu'on attend vos encouragements et vos critiques constructives (sur le site) par mail.

Faire Paris-Pékin-Rio-etc... à vélo, c'est bien gentil, mais il faut garder les yeux ouverts sur d'autres pays que nous ne pourrons pas visiter pendant ce voyage (hélas, mille fois hélas). Quelques amis nous font découvrir quelques photos de Sibérie. Si vous avez le temps, téléchargez donc le fichier ZIP (Taille : 227 ko) de photos. Ouvrez le ensuite pour voyager ailleurs.

Frontière - (Erenhott) - Muraille de Chine --- Muraille (Badaling - Huang Hoa) - Pékin --- Pékin à vélo --- Train Pékin Shanghai env 1500 km --- Shanguai - Suzhou --- Train Shanghaï Guillin --- Guillin - Yangshuo --- Guillin - Lengsheng - Sanjiang- Chengyang --- Sanjiang - Nanning --- Nanning frontière viêt

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